HENOSOPHIA le monde spirituel

Et maintenant, homme de rien, fuis un moment tes occupations, cache-toi un peu de tes pensées tumultueuses. Rejette maintenant tes pesants soucis, et remets à plus tard tes tensions laborieuses. Vaque quelque peu à Dieu, et repose-toi quelque peu en Lui. Entre dans la cellule de ton âme, exclus tout hormis Dieu et ce qui t’aide à le chercher ; porte fermée, cherche-le

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Taslima Nasreen, et portrait de Freud en possédé

« La philosophie de l’esprit » est un petit recueil de leçons qu’a données Léon Brunschvicg en Sorbonne en 1921 et 1922; il s’agit d’ un travail préparatoire au « grand oeuvre » qu’est le « Progrès de la conscience dans la philosophie occidentale ».

J’en tire ces lignes admirables, extraites de la treizième leçon : « La conversion à l’humanité »

« ce qui s’oppose avec Socrate à la force matérielle du passé social, c’est l’humanité idéale que portent en soi la découverte et le développement de la raison pratique, c’est une sorte de Médiateur tel que sera le Verbe selon Malebranche dans les Méditations chrétiennes, ou le Christ selon Spinoza dans le Tractatus theologico-politicus.

Le Médiateur est présent chez Galilée devant le Saint Office, comme plus tard, devant la violence acharnée des critiques, chez Lavoisier ou chez Cauchy, chez Pasteur ou chez Einstein. C’est lui aussi qui est, devant les condamnations prononcées par les autorités sociales, présent chez le Pascal des Provinciales et chez le Voltaire de l’affaire Calas, chez le Rousseau de l’Emile et chez le Kant de la « Religion dans les limites de la simple raison ».

Cette présence est ce qui rend heureux le modèle de justice que Platon a dépeint dans le second livre de la République:

« il sera fouetté, torturé, mis aux fers, on lui brûlera les yeux; enfin, après lui avoir fait souffrir tous les maux, on le mettra en croix, et par là on lui fera sentir qu’il faut se préoccuper non d’être juste mais de le paraître »

Or le juste parfait, quelle que soit sa destinée, du point de vue physique ou social, est heureux non en songeant à l’avenir, par l’espoir d’un temps où serait matériellement compensé et récompensé le sacrifice actuel, mais par une joie immédiate, intérieure et pleine qui ne laisse place à aucune idée de sacrifice, où il s’exalte au contraire dans le sentiment d’incarner la justice éternelle et universelle »

j’ajouterai bien sûr tout de suite, ce que Brunschvicg ne pouvait pas dire de lui même,  que le plus parfait exemple de ce Médiateur ( qui est aussi le Logos endiathetos ou le Verbum ratio du « Progrès de la conscience ») est…. Brunschvicg lui même. Et la « mise en croix » n’a pas consisté dans son cas en une mise au ban sociale (puisqu’il était l’une des sommités, l’un des « Mandarins » de la philosophie française, au moins dans les années 30) mais dans la parfaite incompréhension, ignorance (et mise sous silence, ou presque,  depuis 1945 ) du sens de sa pensée…ceci pour ne pas parler des affreux malheurs qu’il a dû subir à la fin de sa vie à partir de l’invasion allemande de 1940, malheurs qu’il a endurés avec le calme parfaitement stoïque qui signalent le Sage, et prouvent , « vérifient », qu’il a réalisé, comme Spinoza, « non pas le meilleur système philosophique, mais la vraie philosophie ».

Ceci est d’ailleurs une réponse aux critiques d’un Martial Guéroult (critiques qui doivent être prises en considération venant de l’un des plus grands historien de la philosophie) qui croit réfuter l’oeuvre de Brunschvicg en observant que celle ci fait sans cesse appel à l’exigence de vérification, mais omet de vérifier ses axiomes de départ (ce qui est impossible d’après les conceptions de Guéroult d’ailleurs). Mais la vérification est ici la personne même de Brunschvicg (ou de Spinoza) dont TOUS les commentateurs, même les plus critiques, reconnaissent l’immense valeur , ainsi que  la parfaite bonté et humilité et pour tout dire la parfaite humanité…

Mais je voudrais ici reconnaitre un nouvel « avatar » (mot choisi exprès ici) du « Médiateur »   en la personne de cette femme admirable et sublime qu’est Taslima Nasreen.

Je ne veux certainement pas jeter la pierre à Ayaan Hirsi Ali ni à Theo Van Gogh, dont j’admire l’immense courage (que Theo Van Gogh a payé de sa vie) face au fanatisme qui en ce siècle menace l’humanité dans son existence même, mais il me semble que Taslima Nasreen se situe, comme d’ailleurs Salman Rushdie dont elle partage les origines et le génie littéraire, à un niveau supérieur.

Je n’en veux pour preuve que son livre « Lajjâ » , cause de tous ses ennuis, livre insupportable pour les islamistes comme pour les « autorités sociales » puisqu’elle y fait une place à l’autre « Autre » qui est pour elle, la musulmane par la naissance,  l’hindou qui est le héros du livre et dont elle raconte les persécutions qu’il subit de la part de la majorité musulmane du Bangladesh:

http://www.republique-des-lettres.fr/10280-taslima-nasreen.php

Cette femme d’un talent et d’une noblesse de caractère exceptionnels est soumise depuis des années à des menaces de mort, harcèlement et persécutions de la part de « groupes islamistes », et obligée de mener une vie errante en changeant régulièrement de pays et de continent. L’Inde, pays où pourtant les musulmans ne sont qu’une minorité (mais une minorité très agissante) est embarrassée par son cas : craignant que le fragile « équilibre communautaire » ne soit rompu, et que des émeutes inter-ethniques n’ensanglantent le pays, les divers pouvoirs politiques des états de l’Inde où elle se réfugie se croient obligés de « l’exfiltrer » , cédant aux exigences des islamistes. L’Europe ou les USA pourraient lui accorder un visa de réfugiée (mais là aussi , les agitateurs islamiques feraient tout ce qu’ils peuvent pour qu’elle soit expulsée), mais Taslima Nasreen considère que c’est l’Inde qui est son cadre naturel, et ne veut vivre que là bas.

J’extrais du site suivant :

http://www.chiennesdegarde.org/article.php3?id_article=32

la « réaction », en 1999, de la première ministre bengladaise de l’époque à un livre de Taslima:

« « « Taslima Nasreen vient de littéralement tuer son père et sa mère dans son dernier livre. Ce qu’elle écrit, ce n’est ni plus ni moins que de la pornographie », ajoute-t-elle en rappelant que l’écrivain a été « trois fois divorcée ». Et de conclure : « Son livre, je viens de le faire interdire ! » »

ces propos sont glaçants et terrifiants !

C’est ici que les lignes de Brunschvicg citées plus haut, et qui ont été écrites en 1921-1922, prennent tout leur sens !

Quel est il , ce Dragon, qui semble Tout Puissant et éternel, auquel Taslima Nasreen doit faire face comme en leur temps Socrate à ses « juges » ou Galilée (ou Giordano Bruno) à ses inquisiteurs ? il s’appelle « fanatisme » bien sûr, ou « intégrisme », ou « extrémisme » , catégories dont sont friands nos medias occidentaux politiquement corrects, qui rappellent (et ils ont raison) que Taslima Nasreen pourrait trouver un refuge où personne ne viendrait chercher à l’expulser dans un état , celui du Gujarath par exemple, gouverné par les « extrémistes hindouistes » qui par haine de l’Islam sont prêts à l’accueillir les bras ouverts.

Mais Taslima Nasreen refuse, et pour une bonne raison qu’ignorent nos medias occidentaux si « corrects » : c’est qu’elle est une nouvelle incarnation, un nouvel « avatar » du Médiateur dont parle Brunschvicg, et que comme l’avait vu Brunschvicg elle ne fait pas face seulement au dragon « fanatisme », mais à un monstre bien plus puissant sans lequel le premier n’aurait aucune force  : le conformisme social et religieux. Car sont ils des hommes de foi, ces gouvernants qui expulsent (oh pardon : « exfiltrent ») une femme qui est un écrivain de génie, et qui pourrait apporter au pays où elle résiderait un gain « culturel » considérable, juste pour éviter des émeutes sanglantes en cédant aux exigences des islamistes ? sont ils des hommes de foi ces « leaders » religieux qui déclarent que l’on peut parler de tout, y compris du port du voile, mais que ce qui est insupportable est la manière « indécente » dont Taslima (comme Theo Van gogh en son temps) a osé parler du « Prophète de l’Islam » ?

mais pourtant le Prophète Mahomet n’est qu’un homme comme les autres (faillible donc !), c’est là l’une des bases de l’Islam, qui entend se démarquer du mythe chrétien de l’incarnation divine ou des mythes hindouistes des « Avatars »… mais il semble que certains sont plus hommes que d’autres, puisque toute critique du Prophète est interdite sous peine de mort, et que ce « prophète » semble jouir de « droits spéciaux » (avoir treize épouses notamment, et d’innombrables concubines, alors que l’Islam interdit d’en avoir plus de quatre).

Ici encore c’est Brunschvicg qui nous prévient en opposant le prophétisme, propre aux mentalités primitives d’Orient, à la Raison qui est aussi la spiritualité véritable propre à l’Occident (l ‘Occident véritable là aussi, dont l’Occident actuel n’est qu’une pâle copie non conforme), raison attachée au scrupule de l’incessante vérification, contre le dogmatisme « oriental » qui assène : « C’est Moi la Vérité ! ». Voici la citation de Brunschvicg qui correspond si bien là encore au sujet traité :

« Léon Brunschvicg évoquait « la nécessité psychologique qui fait que le soit-disant prophète ne peut emprunter sa figuration de l’avenir qu’aux ombres du passé ». Il opposait « le positivisme de raison » au « positivisme d’Église fondé tout entier sur le sentiment de confiance qu’un homme éprouve (et fait partager) dans la valeur unique de sa pensée et où il puise l’illusion de pouvoir créer la méthode et dicter à l’avance les résultats des disciplines qui ne sont pas encore constituées à l’état de science. » « .

j’ai extrait ce passage du site suivant, qui se livre à une critique très « brunschvicgienne » de la psychanalyse freudienne comme possession spirituelle :

http://www.psychiatrie-und-ethik.de/infc/fr/la_psychanalyse_comme_possession.htm

« Possession » est ici à prendre dans tous les sens : Freud est un « possédé », tout comme ceux de Dostoievsky, et il entend « posséder », prendre le contrôle total, de l’âme de ceux qui le suivent, les « disciples »; il s’agit indéniablement d’un nouveau prophète religieux, comme le montre suffisamment son aveu selon lequel il désirerait instaurer une « dictature de la raison ». Mais si le mot « raison » doit signifier quelque chose, dans ses dimensions de vérification, de démonstration et de justification, il ne peut qu’être radicalement incompatible avec la notion de « dictature », et la folie complète qu’est la psychanalyse saute aux yeux. Le site proposé analyse de façon brillante la notion d’auto-analyse à laquelle Freud (et lui seul) se livre, mais il devrait être aussi rappelé que ceci est le propre de tout « Premier Prophète législateur » (comme Moïse, Mahomet, Manou, etc… et même Bouddha, osons le dire, même si cela doit scandaliser les groupies du Dalaï Lama et les charmantes femmes thailandaises au si joli sourire). En effet, celui qui énonce la Loi pour la première fois s’excepte lui même de la Loi (et c’est la raison pour laquelle Mahomet, qui aimait tant les femmes, s’autorise à  en avoir plus que quatre). Et d’ailleurs, Platon ne dit il pas , au début du livre « Les lois », que c’est un dieu, et non un homme, qui vient donner la loi à la cité ?

A ce prophétisme oriental s’oppose de part en part la spiritualité d’Occident, celle d’un Descartes, ou d’un Spinoza qui ne trouve la Lumière (intérieure ) qu’au moyen des « démonstrations qui sont les yeux de l’âme ».

 Et celle bien sûr d’un Brunschvicg, premier et dernier Sage d’Occident (Brunschvicg qui est de naissance juive tout comme Spinoza, Einstein ou Freud, mais pour lequel tout particularisme doit être surmonté dans l’universalisme de la Raison), dont le site cité plus haut rappelle de façon opportune que:

« Dans l’introduction à son livre « Les Progrès de la Conscience dans la philosophie occidentale », Léon Brunschvicg définit ce qu’est pour la philosophie l’opposition entre l’homme venant d’occident et celui venant d’orient : « Un homme qui, n’ayant d’autre intérêt que le vrai, s’appuie à l’intellectualité croissante d’un savoir scientifique pour s’efforcer de satisfaire l’exigence d’un jugement droit et sincère ; l’autre qui s’adresse à l’imagination et à l’opinion, se donnant toute licence pour multiplier les fictions poétiques, les analogies symboliques et leur conférer l’apparence grave de mythes religieux » »

Brunschvicg qui en 1929, dans les « appels de l’Orient »,  caractérisait ainsi le véritable « homme occidental » qui est apparemment « porté disparu » depuis la mort du Sage le 18 janvier 1944 (sans qu’hélas il ait pu voir la défaite de la barbarie et la chute de l’aigle nazi):

«L’homme occidental, l’homme suivant Socrate et suivant Descartes, dont l’Occident n’a jamais produit, d’ailleurs, que de bien rares exemplaires, est celui qui enveloppe l’humanité dans son idéal de réflexion intellectuelle et d’unité morale. Rien de plus souhaitable pour lui que la connaissance de l’Orient, avec la diversité presqu’infinie de ses époques et de ses civilisations. Le premier résultat de cette connaissance consistera sans doute à méditer les jugements de l’Orient sur l’anarchie et l’hypocrisie de notre civilisation, à prendre une conscience humiliante mais salutaire, de la distance qui dans notre vie publique comme dans notre conduite privée, sépare nos principes et nos actes.Et, en même temps, l’Occident comprendra mieux sa propre histoire: la Grèce a conçu la spéculation désintéressée et la raison politique en contraste avec la tradition orientale des mythes et des cérémonies. Mais le miracle grec a duré le temps d’un éclair. Lorsqu’Alexandre fut proclamé fils de Dieu par les orientaux, on peut dire que le Moyen Age était fait. Le scepticisme de Pyrrhon comme le mysticisme de Plotin ne s’explique pas sans un souffle venu de l’Inde. Les « valeurs méditérranéennes », celles qui ont dominé tour à tour à Jérusalem, à Byzance, à Rome et à Cordoue, sont d’origine et de caractère asiatique……quant à l’avenir de l’Occident, il n’est pas ici en cause : une influence préméditée n’a jamais eu de résultats durables, et prédire est probablement le contraire de comprendre. Toute réflexion inquiète de l’Européen sur l’Europe trahit un mauvais état de santé intellectuelle, l’empêche de faire sa tâche, de travailler à bien penser, suivant la Raison occidentale, qui est la Raison tout court, de faire surgir, ainsi que l’ont voulu Platon et Spinoza, de la science vraie la pureté du sentiment religieux en  chassant les imaginations matérialistes  qui sont ce que l’Occident a toujours reçu de l’Orient»